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Soraya Hachoumi, la comédienne et la loi.

Bonjour, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Soraya Hachoumi, je suis comédienne depuis quelques années.

J’ai lu que tu avais commencé par la danse, avant de te diriger vers le théâtre puis la télévision et le cinéma, pourquoi ce cheminement ?

Parce qu’il est banal?! J’ai tenté, peut être inconsciemment, d’écrire un parcours proche de l’école de Fame. Le chant, la danse et le jeu sont, je pense des métiers artistiques indissociables et il me paraissait totalement naturel de vouloir explorer tous ces univers. La scène et le petit et grand écran sont des lieux différents, le travail l’est également mais le travail de recherche en terme de création est il me semble, le même.

West Side Story de Spielberg est en cours de préparation, as tu envisagé la comédie musicale, où tu pourrais joindre danse et jeu d’acteur ?

C’est quand même incroyable que tu cites la comédie musicale que j’ai pu voir un millier de fois et qui ne cesse de m’émerveiller et de m’émouvoir. On évoque une pièce qui s’est joué pour la première à Broadway en 1957 quand même. Elle ne date pas d’hier et pourtant, la tragédie qui s’y joue est totalement contemporaine.

Bien sur que j’ai envisagé la comédie musicale. Mais ce n’est pas dans la culture française. Dans toutes les comédies musicales françaises, créées ou adaptées qui se sont jouées ces 15 dernières années, les interprètent chantent, jouent mais ne dansent pas et inversement pour les danseurs. Il existe une réelle hiérarchie qui ne permet pas aux uns et autres d’exprimer leurs nombreux talents.

Il est rare de trouver dans les comédies musicales françaises, des comédiens qui chantent et dansent à la fois. Je dis rare parce que j’ai vu il y a quelques jours la comédie musicale « Les souliers rouges » et pour la première fois, chanteurs et danseurs travaillent en totale symbiose. Le travail de scénographie est incroyable avec des danseurs qui jouent et interprètent merveilleusement bien. Cela veut surement dire aussi que les choses évoluent. Ce qui me fascinait dans West Side story est cette communion entre danseurs, chanteurs et on ne se pose jamais la question de leur supposé « réel » métier respectif.

Tu es à l’affiche de Soumaya, film qui évoque le racisme, le combat d’une femme pour laver son honneur et sa réputation, sa lutte contre la peur (des autres) et les préjugés, qui ne se laisse pas abattre par une situation qui la dépasse (au début) complètement. Comment as tu fais pour te préparer au rôle ?

Au moment du casting, j’étais déjà très au faite des différents dossiers juridiques en cours suite à l’instauration de l’état d’urgence. Le sujet ne m’était pas étranger. Mais pour ne pas essentialiser le cas de Soumaya, je ne voulais pas forcément connaitre les détails de sa situation. Je savais qu’elle avait fait l’objet d’un licenciement et d’une perquisition et qui sont les objets principaux du film. Ce qui m’a paru suffisant pour travailler sur le personnage. Soumaya est une femme, une citoyenne française de confession musulmane et je voulais axer le travail sur ces deux éléments. Ce qui semble être une évidence finalement mais le débat autour du voile n’a eu de cesse de déshumaniser ces femmes. Je me suis donc concentrée sur les relations familiale et amicales du personnage, sur la perception qu’elle pouvait avoir d’elle même et le regard des autres tout en gardant de la distance avec le jugement général.

Est ce que tu t’identifies aux personnages que tu incarnes ou tu arrives à complètement faire la part des choses ?

Je suis convaincue qu’il faut aimer un personnage pour l’incarner. Avoir de l’empathie, le comprendre même si ses choix ou ses actes seraient différents des miens. Pour le cas de Soumaya, j’ai fait mon propre cheminement.

Mais je ne peux nier l’existence de points communs comme la notion de justice et d’équité.

En tant que femme et citoyenne, je me sentais concernée par certaines convictions que défend Soumaya.

Tu viens de remporter un prix à Los Angeles, tu peux nous en dire plus ?

Le film a été sélectionné au Hollywood Independant Film Festival à Los Angels au mois de février. Alors que le film avait connu une certaine censure en France, j’étais folle de joie à l’idée que le film ait plu dans la « Mecque du cinéma ». J’ai eu la chance de pouvoir m’y rendre et c’est sur place que j’ai réalisé la dimension que le message du film pouvait avoir. Le festival avait une sélection profondément féministe avec des films qui défendaient les droits de la communauté LGBTQ, des films qui dénonçaient les violences et les agressions sexuelles contre les femmes, des films qui racontaient ce que les femmes hétéros et homosexuels pouvaient subir dans le monde entier.

Le prix que j’ai reçu m’a conforté dans le choix d’avoir fait ce film et je les en remercie car c’était un voyage profondément instructif tant sur le plan professionnel qu’humain.

(c) Mika Cotellon

Quelles sont les principales différences rencontrées entre un tournage tv et cinéma ?

Mes réponses seront beaucoup trop subjectifs. Mais l’essentiel demeure dans le temps alloué au tournage et dans le budget. Si l’on fait référence à la qualité, la TV n’a plus rien a envié au cinéma. C’est le rythme de travaille qui est essentiellement différent. Un tournage de long métrage dans le cinéma français dure en moyenne 6 à 8 semaines ce qui est sensiblement la même chose pour un téléfilm alors que le tournage d’une série peut durer plusieurs années.

Le film devait initialement être projeté au Grand Rex, mais la projection a été annulée pour des raisons obscures, tu peux nous en parler ?

Un accord avait été passé avec le grand rex pour une projection unique mais des réseaux fachos identitaires ont fait pression sur le Grand Rex qui n’a plus souhaité diffuser le film.

Comment se passe la promotion et la distribution pour un film indépendant qui traite d’un sujet clivant et sensible en France ?

La distribution indépendante est déjà par elle même complexe puisqu’elle ne bénéficie pas du même soutien financier qu’un film financé par la région ou par le CNC. C’est un peu le cas dans de nombreux domaines artistiques.

Concernant le sujet du film, je pense que le contexte joue un rôle fondamental. Avec Soumaya, on a constaté une censure avec le Grand Rex.

Certains films ont connu une certaine censure après les attentas de Charlie Hebdo, je pense au long métrage « Made in France ».

Que se serait-il passé si le film était sorti immédiatement quelques mois après les attentats?…

Récemment Ricky Gervais, Joaquin Phoenix et Aïssa Maïga se sont plaint (ou ont enfoncé des portes ouvertes) du racisme dans le cinéma. Est ce que tes origines ont déjà été un frein à ta carrière ?

Je crois qu’aucune de ces personnes ne s’est plainte. Elles ne font que constater une réalité qui perdure malgré une société qui évolue et qui se transforme. Les codes et les termes ont changé. Le terme inclusif est très positif, c’est ainsi que je le perçois. Ce sont des sujets qui dépassent même le milieu du cinéma.

Est ce que tu t’es interdit de faire des casting sous prétexte que le rôle était pour toi celui d’une caucasienne ?

Me l’interdire, absolument pas mais c’est clairement explicité par les directeurs de casting. Le filtre se fait en amont par le biais des agents artistiques.

Le constat est le même depuis plus de 30 ans, il y a un manque de représentativité dans nos médias, sortis des rôles clichés, les minorités sont invisibles, qu’est ce qui pourrait changer la donne ?

Avoir plus de courage, et crois moi que c’est très difficile, pour dire non aux rôles clichés.

Je pense à l’acteur belge Mourade Zeguendi qui a dit non à Brian De Palma pour incarner le rôle d’un terroriste.

Il est devenu urgent de prendre l’initiative d’écrire, de réaliser, de produire pour proposer et nourrir l’imagination de ceux qui nous enferment dans ces rôles stéréotypés.

Et ça pourrait commencer par ne plus se voir comme « minoritaire » ou « invisible ».

(c) Mika Cotellon

Saïd Tagmahoui a décidé de s’exiler aux états unis pour éviter les rôles de “l’arabe de service”, il y fait une carrière honnête mais (dans Wonder Woman notamment) il a un rôle tout aussi cliché… Tu penses que l’herbe est plus verte ailleurs ou qu’il faut se battre ici pour faire avancer les choses ?

Je pense que Saïd a du se battre quand il est arrivé aux états unis pour se faire la place qu’il a aujourd’hui, sans oublier l’exigence de la langue. Avant Wonder Woman, je me souviens de sa présence dans la série Lost, où il n’avait pas ce rôle d’arabe de service. Quand on se réconcilie avec son identité d’acteur, je suppose que l’on est beaucoup moins amer. Le choix de se battre ici ou ailleurs n’est pas le plus important. Ce qui compte est quel acteur ou quelle actrice je veux être.

La règle très française de la temporalité des médias qui était faite pour protéger les productions cinématographiques, a t elle encore un sens aujourd’hui ou est ce un frein pour sortir des “petits” projets en salle ?

Je crois qu’elle est devenue totalement obsolète et qu’il serait temps de prendre en considération les lois du marché actuel.

L’arrivée des nouvelles plateformes de vod qui produisent de nombreux programmes, est ce une bonne chose, une opportunité, ou est ce que le fait que ces programmes soient très calibrés et souvent similaires tend à une production sans originalité?

Un peu des deux sûrement. Je regrette qu’on soit tombé dans une sur consommation de films et de series parfois peu interessantes mais les propositions sont nombreuses. Elles offrent enfin le choix.

(c) Aline Lunau

Le cinéma indépendant est il menacé par ses plateformes ou au contraire est ce une opportunité supplémentaire ?

L’industrie cinématographique est tellement verrouillée depuis des années, force est de constater que ces plateformes offrent de nouvelles opportunités.

Que se soit auprès de jeunes réalisateurs producteurs ou ceux qui y travaillent depuis bien plus longtemps.

Je pense au cinéma de genre ou fantastique qui trouve difficilement sa place en France. Avec l’arrivée de la plateforme de Disney, Amazon ou Netflix, on peut espérer voir enfin naître de super projets bien français. Nous avons les talents en France, il serait temps d’en prendre conscience et de dépasser notre vieux cahier des charges.

A l’heure de #metoo, est ce que tu as souffert de ton sexe dans ton travail ?

Oui malheureusement.

Y’a quoi dans ta playlist en ce moment ?

Anderson Paak, la BO du film Lalaland, Lucky Daye, D.smoke.

Tu as repris des études en droit par le CNED puis à la Sorbonne, pourquoi ?

Je n’ai pas eu la possibilité de faire des études universitaires plus jeune. Je l’ai toujours vécu avec beaucoup de frustration et de regret. Très curieuse de nature, je me suis nourri de nombreux ouvrages mais j’aime l’idée d’apprendre et d’être sujet d’enseignements. C’est chouette d’être un élève et de se nourrir de savoir. J’ai la chance d’être bien entourée, on m’a convaincue qu’il n’y avait pas d’âge pour retourner sur les bancs de l’école et je me suis lancée.

Une passion est née ?

Pour reprendre des études et qui plus est du droit à 35 ans, il faut être plutôt passionnée.

Il m’a semblait essentiel d’avoir des connaissances juridiques. Mais depuis l’enfance, j’ai toujours eu de l’aversion pour l’injustice. Je perçois la justice comme un concept mais il est toujours possible de choisir la voie du juste. En étudiant l’histoire du droit ou les sciences économiques, j’ai réalisé toute sa complexité et les difficultés de son évolution à travers le monde, même si nous étudions essentiellement son histoire occidentale alors que ses premiers enseignements viennent surtout du monde orientale. L’instruction n’a réellement aucune frontière.


Tu te vois où dans 20 ans ?

Vivante, InshAllah.

Et le cinéma dans 20 ans ?

J’espère qu’il sera accessible à ceux qui ne l’envisageraient même pas aujourd’hui.

Et le monde tout court dans 20 ans ?

Je lui souhaite d’être un peu plus magnanime.