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MODE 2 PRÉSENTE SES « PRÉLUDES… »

Article initialement publié sur le site Wankr.fr

Mode 2 est un pionnier du graffiti européen, un précurseur qui avec Sign, Colt, Shoe, Bando, Lokiss, Delta et quelques autres ont posé dès le milieu des années 80, les bases de ce mouvement. Le graffiti a depuis pris de l’ampleur et a investi les rues, les gares, les galeries et les musées de l’Europe entière (et du monde). 30 ans plus tard, il n’y a, à ma connaissance, aucun graffeur européen qui ne s’inspire pas consciemment ou non, de ce qui a été fait à cette période.

Entretien avec un géant :

Combien de temps as-tu mis pour préparer cette (belle) expo ?
J’ai commencé à préparer des esquisses en Août de cette année (2016), je réfléchissais a l’ensemble à produire depuis que Nicolas et Samantha (de la galerie Openspace), m’avaient montré l’ensemble de l’espace à occuper, pour avoir une idée des pièces  à produire, de leur nombre ainsi que leur format.
J’ai commencé à peindre la première pièce vers mi-octobre, soit 2 mois avant le début de l’expo.

Galerie Openspace Ground Floor DSC05857 & DSC05858

Le pastel est  un bâton de couleur qui ne nécessite pas de nettoyage ou de temps de séchage, prêt a l’emploi, en cela, ça se rapproche de la bombe dans l’application sauf que c’est beaucoup plus fragile

Pour la technique, j’ai lu dans une interview récente que tu as travaillé au pastel et acrylique, pourquoi ce choix ?
En 1997 je faisais un atelier à Belfast avec Delta et d’autres peintres, il m’a demandé si j’avais déjà dessiné avec des pastels, il les utilisait pour ses esquisses sur bois. J’ai commencé à m’en servir à partir de ce moment-là.
Le pastel est  un bâton de couleur qui ne nécessite pas de nettoyage ou de temps de séchage, prêt a l’emploi, en cela, ça se rapproche de la bombe dans l’application sauf que c’est beaucoup plus fragile (on perd à peu près 1/3 du pastel qui tombe au sol). En appliquant du liant acrylique dessus, on peut étirer le pastel et obtenir des couleurs et des effets. Il n’y a pas d’autres mediums qui peuvent produire ce genre d’effets. Quand on regarde les toiles de très près, on aperçoit les pigments qui ressortent grâce au liant acrylique mat. J’utilise aussi un peu de couleurs pour les trucs plus finis et  plus élaborés ainsi que plusieurs opacités de blanc pour faire ressortir les volumes.

It's Gonna Be A good One_h140cm X w240cm_DSC05387

Avec le pastel, en ayant un contact avec la surface, on rentre dans une dimension tactile qu’on n’a pas avec la bombe

Quelle différence perçois-tu quand tu traces un perso ou un lettrage sur mur et sur toile ?
Avec une bombe, sur un mur, il n’y a pas de contact avec la surface donc, on bouge beaucoup plus rapidement, plus instinctivement ; on arrive à tracer des traits et des courbes presque impossibles à réaliser avec un contact.
Avec le pastel, en ayant un contact avec la surface, on rentre dans une dimension tactile qu’on n’a pas avec la bombe. On ressent tout le relief du support (crépis, toile en coton ou en jute, brique, feuille …). Chaque outil a ses avantages et ses inconvénients.

Le pastel est super fragile donc, on ne peut que le tenir à son extrémité sinon il se pète en morceaux. Les gens ne se rendent pas compte, y compris dans les écoles, que le pastel génère une grande quantité de poussière super fine qui nous oblige à porter un masque. Ça me fait me demander si dans les écoles, les gamins ne devraient pas aussi se protéger. On ne connait pas toujours la base des pigments utilisés dans les pastels, bleu de cobalt, blanc titane, zinc, cadmium…
Moi, ça m’irrite les narines comme la bombe peut m’exploser les sinus.

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Ton expo se décompose en 3 étapes (peintures d’après photos de soirées,  dessins érotiques et des lettrages), chacune aborde différemment la notion de prélude (naissance d’un mouvement, préliminaires sexuels et esquisse avant remplissage), pourquoi ce choix ?
Il y a une dépréciation due au fait qu’on se monte souvent un film avant, ce qui amène souvent une déception au final.
Le problème que j’ai rencontré de nombreuses fois, principalement lors de peintures « live », le public captait rapidement le dessin à partir des premières esquisses. Et quand les gens repassaient plus tard, ils étaient déçus que les esquisses aient disparu.
Je suis bloqué quelque part car, dans les premières esquisses, presque tout est dit et le reste c’est juste montrer qu’on sait peindre et qu’on a la technique. On doit choisir le message qu’on a envie de faire passer.
Pour les soirées par exemple,  par rapport au lieu, au nom des DJs présents ou annoncés, on a une certaine attente qui monte. Pour deux des toiles dans l’expo, elles sont inspirées de photos de soirées qui ont été organisées à la dernière minute, ou au mieux une semaine à l’avance.
Maintenant que je suis père, il y a moins de spontanéité qu’à cette époque, on est obligé avec ma femme de planifier les choses. Il arrive encore que des soirées me surprennent, même en connaissant le DJ, on peut toujours être surpris par sa sélection.

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Les outils diffèrent mais le traité est quand même proche de ce que tu as pu faire sur mur, on reconnait immédiatement une de tes œuvres. Tu n’as jamais eu l’envie de t’essayer dans un autre registre, non figuratif ou abstrait ? ou à la sculpture ?
Pour la sculpture, il faut savoir que je n’ai mon propre atelier que depuis 2011, avant ça je n’ai pas eu la chance de pouvoir expérimenter comme bon me semblait.

Il y a encore beaucoup de choses que je voudrais explorer au niveau technique. Dans cette expo (dans la 2e salle) j’ai utilisé du mortier de construction pour donner un peu de relief à mes toiles. Je n’ai pas forcément envie pour l’instant d’aller vers la sculpture, de peur d’être bloqué trop longtemps sur une œuvre, j’aime bien produire les choses rapidement.

Pour ce qui est de l’abstraction, j’aimerais bien pouvoir exprimer le mouvement, pour moi c’est comme en musique, les chansons sont du figuratif et la musique instrumentale serait de l’abstrait. C’est un truc que j’aimerais bien plus travailler mais je dois faire ça déjà de mon côté avant d’en faire une expo. Les galeristes et les acheteurs ont parfois peur d’aller sur un terrain inconnu, c’est un risque à prendre.

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A propos de style, tu es présent sur les réseaux sociaux où tu animes la page de ton groupe TCA. Quel regard portes-tu avec un peu de recul sur Internet et l’art ?
On lui reproche souvent une uniformisation du style, alors qu’avant, aux préludes du mouvement, chaque zone géographique avait son style facilement reconnaissable.
Au début, les styles tournaient autour de maîtres qui avaient leur crew qui sévissaient dans un quartier ou sur une ligne. En Europe on pouvait à cette époque, en voyant une peinture, savoir d’où venait le graffeur qui l’avait réalisée. Le plus difficile, c’était Amsterdam où de nombreuses influences se côtoyaient déjà, peut-être dû aux premières expos des new-yorkais (Quik, Dondi, Futura) qui étaient passés là-bas bien avant le reste de l’Europe.

Quand on a commencé de voir les Fanzines, on ne s’est pas tout de suite rendu compte, surtout quand il était question de « envoyez-nous vos photos », que ça allait détruire une partie des codes établis et des « hiérarchies » qui existaient. On est arrivé à avoir des doubles pages de fanzine où cohabitaient des peintures de tueurs faites dans des conditions extrêmes, avec des murs de mecs qui peignaient le même mur dans leur coin tous les week-ends et envoyaient leurs photos à tous les magazines. Le mérite et l’échelle des valeurs a été bouleversé.
Les jams, dans les années 90, où tout le monde était invité (un peu comme les sessions open mic ), produisaient la même chose. Il n’y avait plus de têtes d’affiches, les débutants peignaient à côté des tueurs. Je me rappelle qu’en 1997, à Wiesbaden au Wall Street Meeting, Blade (ndlr légende du graffiti New yorkais) venait de terminer une pièce de style rétro, il avait reproduit un truc de 1975, et là un jeune writer Allemand lui demande s’il a fini et pris sa photo, avant de prendre un rouleau et de repasser sa pièce. Déjà à ce moment-là, il n’y avait plus de différence entre un jeune qui a commencé à peindre il y a 2 ans et un pionnier grâce à qui on avait la chance d’être en train de faire ça.

C’est pour ça que les gens me trouvent parfois un peu énervé dans mes commentaires (sur internet), mais les mecs ne se rendent pas compte que sans ces gens-là avant nous, on ne serait pas là. J’ai toujours un sentiment de dette envers eux et une responsabilité pour les nouveaux venus de transmettre ce que je sais, je le vois comme un devoir.

En 1995, je me suis retrouvé avec Echo, Nest et Futura dans la banlieue de Madrid, avec nos valises à côté de nous sur le trottoir; parce que les organisateurs avaient payés le déplacement à 90 personnes et ne pouvaient pas nous payer une nuit d’hôtel supplémentaire. La priorité sur la quantité au détriment de la qualité était un mauvais choix, ils auraient mieux fait de n’inviter qu’une dizaine de mecs et les faire peindre dans de bonnes  conditions, et les rémunérer en plus. Les gens talentueux sont nombreux donc il n’y a pas de risque de voir toujours les mêmes invités à chaque fois. Mettons les meilleurs ambassadeurs de la culture en avant.
On ne penserait pas faire jouer Bob Dylan sur scène et l’entourer de débutants ou d’inconnus.
Mais la faute revient aussi aux municipalités qui regardaient notre culture de loin d’un œil paternaliste et pensaient qu’il faut guider et aider ces jeunes, alors que cette culture avait déjà son propre système de méritocratie.

En France, ça a commencé pendant le bicentenaire (ndlr de la révolution) en 1989 où Jack Lang voulait absolument faire passer les valeurs de la république au travers d’initiatives Hip Hop, ça m’avait déjà soulé à l’époque, cette tentative de récupération et d’appropriation.

Le (néo)muralisme agite les réseaux sociaux ces derniers temps depuis que certains articles parus dans la presse mentionnent que les artistes ne sont que défrayés pour leur travail mais perçoivent des contreparties immatérielles (notoriété, expo en galerie…), certains participants se défendent même en disant que la pratique artistique ne doit pas être forcément source de revenus, alors que d’autres leur reprochent de scier la branche sur laquelle ils sont tous assis. Tu as un avis sur la question ?
Pour ce qui est de la notoriété, depuis 1987 et Spraycan Art (ouvrage référence du graffiti), je ne compte pas le nombre de fois où des gens sont venus me proposer des projets en me disant que ça allait me faire de la pub, booster ma carrière. Autant, je suis prêt à me bouger pour une petite municipalité qui n’a pas de budget et qui ferait « passer le chapeau » pour financer un évènement.
Mais quand ça commence à devenir un système où on va essayer de pacifier le malaise présent dans les villes en peignant des belles images alors que les artistes sont payés moins qu’un peintre en bâtiment pour la même surface, ou même le font gratuitement, là, il commence à y avoir un problème. Et quand je vois les commanditaires et leurs motivations, je me pose des questions.
Ce que j’aime dans cette culture, c’est la proximité de l’art avec les gens. Avant, la hauteur était limité par nos moyens, on arrivait au mieux à 3m de haut mais on peignait sur la longueur, au niveau du trottoir ce qui rendait les visuels au niveau des gens, ils étaient directement impliqués.
L’homme n’a jamais arrêté de montrer à quel point il est fort dans les sciences et la technique, mais la question est : qu’est-ce qu’on en fait ?
Je ne suis pas intéressé par la taille, ce n’est pas quelque chose qui m’impressionne plus que ça.
Je refuse ce genre de projets, c’est pour moi de l’Elastoplast social, on essaye de calmer les gens avec un truc beau pour les yeux mais qui ne règle aucun problème de fond.

Un pansement sur une jambe de bois ?
Ça, c’est plus un truc que je dis concernant les ateliers que nous faisions tous les étés avec les jeunes depuis le début des années 90, du nord de la France jusqu’à la Côte d’Azur. Des ateliers pour encadrer des jeunes qui ont juste coché des cases sur un questionnaire à l’école, pour les occuper pour ne pas qu’ils foutent la merde pendant l’été. Mais faire des interventions de ce type pendant une semaine ne va pas résoudre les problèmes de fond qui existent. On est utilisé pour maquiller des problèmes qui doivent être traités.

Je ne sais pas s’il y a un intérêt à faire des belles fresques sur des façades avec toute cette logistique mise en place, alors que les peintures auront une courte durée de vie. Quelqu’un comme Vhils qui fait de la sculpture au marteau piqueur, a trouvé un moyen pour que ça reste.

Il y a d’autres moyens d’utiliser nos idées et notre vision graphique qui seraient beaucoup plus durables que d’appliquer des couches de 1 à 2 mm de peinture qui vont disparaitre avec les intempéries et le temps.

Tes fresques murales étaient parfois engagées, passaient un message, qui ne se retrouve pas forcément sur tes toiles et tes dessins que j’ai pu voir ces dernières années. Pourquoi ce choix ?
On m’a déjà dit que je faisais de la propagande à l’époque. Les murs sont faits dans l’espace public et touchent beaucoup de gens. Mon but à l’époque était de capter l’attention du public et que deux personnes qui ne se seraient jamais parlé, ou uniquement de futilités, puissent vraiment parler, échanger et interagir. Ce n’est pas la même utilité pour une fresque extérieure et une toile qui finira dans un domaine privé.
Il y a peut-être des gens qui voudraient avoir des choses engagées chez eux, mais ils sont peu nombreux. Il y a 2 ans pour Sergeant Paper j’ai dessiné les portraits de 4 personnalités africaines assassinées, les gens n’en ont reconnu qu’un, Steve Biko (militant anti-apartheid sud-africain); mais personne ne semblait touché ni par Sankara (président Burkinabé),  par Lumumba (premier Premier ministre de la RDC) ou Amilcar Cabral (leader indépendantiste de Guinée Bissau), ça m’a fait me poser des questions sur l’engagement politique du public.

Le domaine public et l’espace privé sont deux choses différentes, des peintures engagées, j’en ai faites mais personne ne les a remarquées.

Mode 2

GALERIE OPENSPACE

116, bd Richard Lenoir – 75011 Paris
https://www.facebook.com/GalerieOpenspace/

MODE 2, PRÉLUDES…
Exposition personnelle jusqu’au 28 janvier 2017
PS : Merci à Mode 2 et à la Galerie Openspace pour leur temps et leur disponibilité…