ArtsCulture

Popay, color master

Pionnier du mouvement graffiti en France dès le milieu des années ’80, Juan-Pablo “POPAY” de Ayguavives vit et travaille à Paris.
Renouvelant les canons -américains- du graffiti Hip-Hop sous diverses influences (Bande-dessinée, Figuration Libre ou Art Moderne…), Popay, tagger virtuose, maître es-calligraphie, est un des premiers artistes européens à avoir renouvelé le genre en agrémentant ses fresques de personnages picaresques, de paysages prolifiques et de ‘Freestyles’ fiévreux, abstractions lyriques et organiques d’une grande force et d’une réelle variété chromatique.
C’est alors déjà un ‘writer’ et coloriste hors-pair dans ce mouvement émergent en marge du marché de l’art, qui ne se fait pas encore appeler ‘Street Art’.

Bonjour, tu peux te présenter ?

Bonjour, je m’appelle Juan Pablo de Ayguavives  dit Popay. C’est mon surnom depuis petit enfant, depuis une époque à laquelle je n’arrivait même pas à bien prononcer mon propre prénom. 

Tes dernières réalisations (celles que j’ai vues en tous cas) sont de plus en plus abstraites et de moins en moins figuratives, pourquoi ce choix ?

C’est un positionnement stratégique. J’ai voulu adopter un langage visuel adapté pour répondre à une demande de plus en plus conséquente de grands murs. Pouvoir faire des grands murs «rapidement» tout en défendant un travail obsessionnel et en ayant une identité graphique reconnaissable. Même si celle ci est le résultat du mixage de multiples influences en commençant par la volonté de recréer le choc visuel provoqué par la ligne claire dans le domaine de la BD mais aussi celui provoqué par le Graffiti dans les années 80. Mais formellement inspiré par l’esthétique développée en Espagne depuis plus d’une décennie par Okuda Nano Pelucas Zosen Debbens ou même en France avec 2shy ou Laurence Vincent et Raphael Monchablond qui fait appel à un vocabulaire géométrique volontairement naïf et ludique.
Ils se placent tous dans la lignée de Sol LeWitt , particulièrement ses wall drawings, qui, comme les œuvres de Franck Stella ne me paraissent aucunement étrangères à l’irruption de l’esthétique du Graffiti dans la ville new yorkaise de la fin des années 60. Paradoxalement, Je perçois cet élan comme une réaction aux automatismes esthétiques inculqués par le Graffiti américain, autant donc qu’un retour au sources tout comme l’ignorant style est une récession aux prémices du graffiti new yorkais ou le cubisme un retour aux primitifs africains.

C’est André qui la première fois fin 80 m’avait sensibilisé au fait de développer une esthétique propre à notre culture française sinon européenne. Ce qui à l’époque était traduit par le travail du volume et des personnages que j’ai pu travailler dans les années 80 avec les PCP en référence à la bd franco italienne ou alternatives américaines ( Bilal, Moebius, Liberatore, Corben…).
Mais j’y injectais aussi des doses de figuration libre qui m’apparaissaient comme mouvement alter ego du graffiti en Europe de par sa fraîcheur et sa candeur dans les couleurs explosives et l’influence de la BD, l’aplat aux Etats unis et le contour noir en France lui même héritier de Rouault, Buffet, Mosner, Combas, eux même héritiers des vitraux, comme je l’ai compris tout récemment.

Mais il ne s’agit pas d’une transformation d’épuration abstractisante comme on a pu le voir au début du 19e avec tous les artistes choqués par le cubisme et qui se sont égarés dans le supposé mouvement abstrait. Je tiens a garder un lien avec le figuratif. Pour moi l’abstrait comme mouvement artistique a plus été une campagne marketing, même si les prémices de la question de l’opposition figuration/abstraction se sont posées dès les orientalistes, puis avec force et talent avec Klimt.

Tu es un grand talent de la calligraphie, pourtant, tu donnes l’impression de l’utiliser de moins en moins, quel est le cheminement de ton travail ? son évolution ?

Merci pour le compliment. j ai effectivement revendiqué longtemps la lettre comme sujet d’intérêt. Mais j’ai été amené à peu à peu en délaisser sa pratique. A l’époque des fresques en terrain vague, plus je peignais avec des gens plus on me demandait de faire des persos, faute de pratiquants! Et les persos ont souvent été utilisés comme « pièges visuels » au milieu des lettrages, ceux ci bénéficiant de beaucoup moins d’éloge auprès d’ un public non averti et donc donc plus imperméable à l occulte esthétique du wildstyle nécessitant quelque initiation. Cette superposition de langages (lettres/persos) provoque une syncope comme ont pu précédemment le faire les surréalistes, particulièrement Picabia. Aussi dans l’art traditionnel Éthiopien ancien, on retrouve beaucoup de combinaisons graphiques parallèles avec celles utilisées dans le Graffiti. Comme par exemple le fait d’utiliser des pièges visuels pour amener le regard du public non averti vers des considérations supposés plus obscures. Les peintres éthiopiens de l’époque de la reine de Sabbath été connus pour leurs vertus de guérisseurs. Un papyrus été déployé à la taille du « patient ». Par ce premier acte il se dissociait d’une volonté d uniformisation en s’adressant singulièrement à la personne. Aussi un trait départageait la feuille en deux. Et dans une logique qui pose les prémices du graphisme, d’un coté était présentées des figures surnaturelles laissant supposer que l’on s’adresse au monde des esprits, ceux ci se départageant entre des êtres ailés a plume et des êtres ailés à écailles. Chacun représentant des forces du mal et celles du bien, afin qu’elles soient départagées et reconnues comme des forces différentes. De l autre coté du trait central étaient présentées des écritures, celles ci par blocs séparés par des graphisme d apparences décoratives mais dont la fonction était de faire des pièges visuels. Imaginez trois carrés l’un dans l’autre, chacun avec une petite ouverture sur l’une de ses quatre faces. Le tout formant un mini labyrinthe ultra simple sensé piéger le regard du patient, provoquant de façon inconsciente une stimulation pour trouver l’issue du piège labyrinthe et en cela censé déclencher les forces propres au patient pour utiliser ses propres forces pour participer a sa guérison.
J’ai certainement l’air de m’éloigner un peu du sujet, mais je pense que les personnages dans le graffiti ont été utilisés dans la même fonction que ces petits labyrinthes, afin de saisir l’attention du regard dans la volonté de l’amener ensuite ailleurs, finalement avec une volonté éducative.

Tu es autodidacte, mais aujourd’hui, tu es amené à intervenir face à des étudiants en art, quel est le message que tu souhaites leur transmettre

J’ai essuyé deux refus a ma candidature aux Beaux Arts de paris et trois aux Arts-Déco. Au fil du temps ceci s’est révélé être salutaire pour moi car j ai peut être échappé a un certain cloisonnement didactique. Mais j ai du apprendre a apprendre. Finalement rien ne remplace la persévérance. Et il me parait enrichissant de se remettre en question.

Récemment tu as peint beaucoup de grands formats, as tu une façon de travailler particulière pour ces oeuvres géantes ?

Ces deux dernières années je suis beaucoup revenu au mur maintenant que mon fils dont j avais la garde seul depuis ces 10 ans, est un peu plus autonome. J’ai peint près de 2000 m² pour lesquels j’ai du développer un protocole. Ça a été pour moi un compromis pour revaloriser le temps nécessaire à l’élaboration d une oeuvre, d’autant que celle ci fut de grande dimension. Effectivement on a vu cette dernière décennie un attrait des municipalité a travers le monde entier pour le muralisme. Celui ci s’est développé accompagné par la volonté des artistes de démontrer qu’ils pouvaient couvrir beaucoup de surface en peu de temps.
Mais cette approche est pour moi dangereuse par deux aspects : premièrement elle ne valorise par le travail de l artiste en ce sens que d’une part les rémunérations pour des grands murs ont souvent été sous estimées et dans l’autre qu’en plus il faudrait minimiser le temps de réalisations pour ne pas alourdir les frais liés au locations des grues et autres nacelles. Ce qui peut pousser malheureusement à la baisse d’exigence de qualité de l’oeuvre elle même.

Du coup j’ai essayé de faire valoir ma nécessite de bénéficier de temps au delà de ce qui est communément considéré comme acquis. Afin de pouvoir réaliser une oeuvre dont la grille de lecture se présente comme diamétralement opposée à la logique publicitaire. A savoir plutôt que succomber à la doctrine intéressée d’avoir une image que se lit en un clin d’oeil à des kilomètres, j’ai adopté la position de défendre une image qui ne donne rien de loin, presque une couleur moche en aplat, et qui exige donc de se rapprocher pour enfin être invité à la contemplation de par le foisonnement des facettes multicolores.

La galerie itinerrance qui échange des murs à grosse visibilité contre un travail non rémunéré, tu en penses quoi ? Surtout que ce mode de fonctionnement est en train de se répandre en France?
Les artistes qui acceptent de bosser à l’oeil ne sont ils pas en train de scier la branche sur laquelle ils sont tous assis ?
“Si certains ont pu travailler à l’œil, pourquoi rémunérer les autres ?”

Comme développé dans la question au dessus, effectivement il est peu encourageable de valoriser ce genre de stratégie comme idéale. Il faut quand même savoir que dans le cas d’Itinerrance , au delà du discours d’offrir une visibilité sans égal au cœur de la ville et accessible au plus grand nombre des habitants du 13e arrondissement et ses visiteurs, la réalisation des murs va de pair avec une expo dans la galerie Itinerrance qui à ce moment là se révèle souvent plus rentable pour les artistes.

Je ne pense pas qu’il faille pour autant systématiquement cracher sur les opportunités présentées mais bien peser le pour du contre. Effectivement valoriser le travail de l’artiste aura un effet dont bénéficiera toute la communauté des artistes parce que souvent les commanditaires négocient en faisant valoir la disponibilité de moult autres artistes prêts a « tout pour rien ». C’est à ce moment qu’il faille faire valoir d’une part que chaque travaille mérites salaire, et que de surcroît il faut valoriser son travail au delà d’un temps de travail au SMIC sachant que nous autres artistes ne sommes pas engagés pour une temporalité continue et à long termes mais pour le temps de réalisation d’une oeuvre et qu’il faut prendre en compte de pouvoir subvenir à ses besoins pendant les périodes transitoires d’études ou de travaux personnels. C’est donc a chacun de faire valoir la totalité des artistes en défendant de primes abords ses propres intérêts.

Tu viens du graffiti, quel regard portes tu aujourd’hui sur cette discipline et son cousin le street art ?

Je ne me fourvoierai pas a dire que l’un soit totalement étranger à l’autre. Il en va à mon sens d’une continuité. J’ai moi aussi été tenté de plonger dans l’amertume et de mépriser tout ceux qui plus jeunes que moi faisaient mieux faire valoir leur savoir faire. Mais, après réflexion, et en repensant aussi à ma jeunesse et en me rappelant parfois l’amertume de certains old timers nous décriant comme des « toys » en voyant débouler la jeunesse ambitieuse et peu encline à valoriser la vieille garde, j’ ai compris que la valeur ne se réduit pas à l’âge. Voila ma façon de percevoir maintenant le phénomène. Je considère que la multiplication des opportunités tant en surfaces qu’en variétés d’interlocuteur, est une victoire. Est notre victoire. La victoire de tous ceux qui se sont compromis depuis les années 80 et encore plus massivement dans les années 90 à perpétuer la pratique de la fabrication de l’image dans la rue en tant qu’espace revendiqué public et donc appartenant au grand nombre, et cela malgré les ressentiments largement illustrés par la création de services spéciaux et autre milices qui ont su criminaliser les pratiquants en les traduisant devants les tribunaux. On a quand même eu a faire a une campagne de dénigrement complètement décalée dénuée du moindre bon sens. D’ailleurs, la destruction des biens publics débridés au cour des gilets jaunes en est peut être l’aboutissement. Mais aussi le vocabulaire actuel utilisé pour les fresques muralistes dont la nature est parfois bien peu engagée tant esthétiquement que thématiquement. Il y avait bien plus de nouveauté graphique, d’émergence de style, de propositions esthétiques qu’aujourd’hui avec le muralisme bien souvent soit bien pensant soit lisse et acquis en termes d’esthétique. Rien de nouveau, bien souvent des démonstration techniques et d’esthétiques académiques avec une revalorisation du réalisme, même si les techniques se sont multipliés et diversifiés, alors que le Graffiti s’est développé sous une coupole lettristes et volontairement limité à la bombe.

Tes influences ? celles d’hier et celles d’aujourd’hui ?

Je voudrais bien ne pas devoir exposer mes influences et plutôt préfère qu’on les trouve au travers de mes images.

Mais en gros j’ai dû faire se télescoper des styles qui a priori sont des antithèses. Par exemple dans les années 90 je me suis attelé à fusionner la science-fiction macabre de Giger (Alien), le «réalisme» multicoloré de la figuration libre de Combas, et le diamétralement opposé expressionnisme abstrait de Jonone issu de Polloc et de Stella.

Je n’arrive toujours pas a dissocier clairement l’abstrait du figuratif. Je me suis monté une théorie un peu personnelle consistant à penser que l’abstrait n’a jamais existé.

Je le perçois plus comme une appréhension des mondes infiniment petits et infiniment grands mis a nu par les découvertes techniques de la science comme les microscopes et autres télescopes. Pourtant l’occident à longtemps considéré comme « mécréant » la pratique de l’art dit décoratif, celui ci méprisant le culte figuratif associé à l’adoration des idoles.

Il a existé longtemps une frontière invisible départageant ces deux courants, comme la barrière séparant l’eau douce de l’eau salée.

Et pourtant au cours du 18e siècle, Klimt a su télescoper ces deux vocabulaires, lui même héritier du culte greco-romain, mais aussi limitrophe de l empire Ottoman, en ramenant le motif dit décoratif au cœur du sujet de sces scènes d inspirations thématiques antiques. Le motif voilant la figure. Et les prémices de ce courant qui mêlent l’occident et l’orient se sont certainement déjà prononcées à travers l’expression si maîtrisée et inspirée des maîtres orientalistes.
Et si notre culture n’était pas une souche de roc inaltérable mais bien la couleur issue d’un mélange étrange comme une crème de marron que l’on mêle à un fromage blanc !?

Tu as une double culture (franco-espagnole), comment cela se ressent il sur ton oeuvre ?

Hm, peut-être par cette volonté de mêler les choses qui paraissent les plus éloignées, d’expliquer les paradoxes et de tenter d’en déterminer la somme. Peut-être aussi de l’autre côté par cet intérêt alchimique de vouloir transformer la matière plastique jusqu’à ce que celle ci finisse par évoquer ou personnaliser la figure. Et probablement dans le fait de par tant d’aspects être confus.

Tu t’intéresses beaucoup à la politique et à la géopolitique, est ce que tes œuvres sont engagées politiquement, ou pourraient elles le devenir ?

J’essaye de comprendre les tenants et les aboutissants. Malheureusement je ne suis pas si calé que je le voudrais mais ça ne m’empêche pas d’exprimer ma sensibilité. Je ne peux me résoudre à ignorer mon héritage spirituel qui lui-même fut insufflé par la religion par bien des aspects incontestables. Je perçois le christianisme comme issu du judaïsme.
Je considère nos sociétés occidentales imprégnées des valeurs issues d’influences religieuses, bien souvent de façon inconsciente (par exemple l’origine du ministère).
Je me questionne aussi souvent sur le civilisme supposé de la république, ou de sa nécessité de protéger le pouvoir et de ne pas voir surgir de contre pouvoir, sur les intérêts qui ont traversé le christianisme, les raisons de ses schismes ou du bien fondé de sa désertion.
En tant qu’espagnol, avec l’histoire de ce pays, je me sens autant juif que musulman, ce qui se passe au moyen-orient, le conflit israëlo-palestinien ne peut que m’attrister.
Je me rappelle que dans les années Mitterrand, j’étais très fier que ces questions ne se posaient pas en France et que d’une façon générale, l’affluence du métro soit le reflet d’une multiracialité qui paraissait évidente et naturelle depuis les années d’après-guerre alors qu’aujourd’hui, de plus en plus on a le sentiment que ce schéma est remis en question. Aussi je féliciterai le virus coronavirus pour sa démonstration qu’aucune frontière n’existe pas plus qu’aucun peuple, aucune race s’il en existe ni aucune religion ne paraisse plus a l abris l’une que l’ autre.


Tu te vois où dans 20 ans ? 

dans l’absolu, je ne voudrais pas vouloir voir ce qu’il  adviendra dans quelques futurs aussi éloignés soient ils. Cela me mettrais dans une position de ne pas laisser de place au surgissement de l inconnu extraordinaire. Je projette quand même de m’éloigner de la ville et de m’installer dans le cœur de la France exactement là ou ont surgi les premières images tapissées, elles même existantes grâce à un alibi écoresponsable (préserver la chaleur) et célébrant l imaginaire folklorique et fantaisiste pour ne pas dire fantastique des licornes)

Et le monde de l’art et les artistes dans 20 ans ?

je pense que l on arrive a un stade qui commémore la renaissance au sens leonardesque en ce sens que l on retrouve le lien entre la technologie et l art plastique. Nai le sentiment que les œuvres que l’ont peux voir au Louvre ont émergé dans des conditions proches de celles présentes aujourd’hui. Je suis intimement persuadé que Leonard de Vinci aujourd’hui serai concepteur de jeux vidéos. De par la maîtrise du mouvement et de la prise en compte de l interactivité, de par le lien évident qui existe entre le troidé (3d) , l’image de synthèse et la création de la perspective. De par la hiérarchisation dans la répartition nécessaire des taches Indispensable a l élaboration d’une oeuvre aussi complexe qu un jeu vidéo. Je perçois d ailleurs cette oeuvre comme aussi fondamental qu une cathédrale. 

Et le monde tout court dans 20 ans ?

Il n y a qu une seule issue Heureuse possible: tous riches!